mardi 31 janvier 2017

607 - La fille de la bouchère

Cambodge 2013                                   photo 1965    1/30

Cambodge Ban Lung marché du matin



Ardagôn le boucher, à la rouge encolure,
Un grand couteau luisant passé dans sa ceinture,
Pousse hors de l'étable et conduit au hangar
Le bœuf sur qui la vache attache un long regard.
Les enfants du village, et Psyllé la première,
Déjà chassés vingt fois par la rude fermière,
Reviennent plus nombreux et plus hardis encor
Que les mouches qu'attire un pot plein de miel d'or.
Une corde passée à l'anneau de la dalle
Incline par degrés la tête bestiale,
Et la brute immobile offre son large front
Comme une enclume où va frapper le forgeron.
Tout est prêt. Dans la cour descend un grand silence...
Le lourd marteau levé lentement se balance,
Plane, hésite, et soudain, d'un coup terrible et sourd,
Tombe... le crâne sonne... Un léger frisson court.
Le bœuf assommé croule : et dans sa gorge inerte
Le grand couteau plongé fait par l'entaille ouverte
Jaillir à flots pressés un sang noir et fumant.
Le sol autour s'empourpre. Ardagôn, par moment,
Enfonçant jusqu'au coude un bras qui sort tout rouge
Ranime un peu de vie aux flancs du bœuf qui bouge ;
Et les enfants penchés sentent, en frémissant,
Leur petit cœur cruel réjoui par le sang.

Albert Samain   Le boucher

lundi 30 janvier 2017

606 - La vieille femme de la lune

Cambodge 2013                                     photo 1951   1/30

Cambodge Ban Lung 

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde ?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort... Nous fermerons les yeux à double tour...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Sabine Sicaud  La vieille femme de la lune

vendredi 27 janvier 2017

605 - Les fruits d'or

Cambodge 2013                                                                    photo 1942  1/30

Cambodge : Ban Lung, le marché du matin et ses montagnes de fruits ...

-Viens, j‘ai des fruits d’or, j’ai des roses,

J’en remplirai tes petits bras;
Je te dirai de douces choses,
Et peut-être tu souriras!
Et l’enfant, à cette voix tendre
De la vie oubliant le poids,
Rêve et se hâte de descendre
Le long des coteaux, dans les bois.
Là, du plaisir tout a la forme:
L’arbre a ses fruits, l’herbe a des fleurs;
Il entend, dans le chêne énorme,
Rire les oiseaux querelleurs.

Victor Hugo   L’été aux champs

jeudi 26 janvier 2017

604 - Enfant d'ailleurs

Cambodge 2013                                   photo 1927    1/30

Cambodge Siem reap

Le poème n’est point fait de ces lettres que je plante comme des clous, mais du blanc qui reste sur le papier. 
 Paul Claudel    Extrait de Cinq Grandes Odes, Les Muses




 « Ô toi qu’hélas ! et toujours pique
Une mouche transatlantique,
Ulysse Montévidéen,
Terrestre, lacustre ou marin,
Que viens-tu faire dans la vie
Voyageur ès-mélancolies ?
Saigner l’exsangue subconscient,
Poulet osseux, jusques à quand ?
Choisis enfin ton point de chute
De peur que ton obscure flûte
Qu’épuise un si grand désarroi
Ne tombe morte de tes doigts.
-       Voix amie et si indiscrète
-       N’interroge pas le Poète ;
Il faut plus de quatre-vingts jours
Pour faire le tour de mon âme
Et, sentant déjà mes bras lourds,
J’avance d’une lente rame.
Si vraiment tu me veux du bien,
Chère, ne me demande rien.
-       Se taire ? Etrange privilège,
Si je le voulais, le pourrais-je ?
Moi qui n’affirme que mon nom,
Je suis l’Interrogation. »
 Jules Supervielle,
 « Ô toi qu’hélas ! et toujours pique
Une mouche transatlantique,
Ulysse Montévidéen,
Terrestre, lacustre ou marin,
Que viens-tu faire dans la vie
Voyageur ès-mélancolies ?
Saigner l’exsangue subconscient,
Poulet osseux, jusques à quand ?
Choisis enfin ton point de chute
De peur que ton obscure flûte
Qu’épuise un si grand désarroi
Ne tombe morte de tes doigts.
-       Voix amie et si indiscrète
-       N’interroge pas le Poète ;
Il faut plus de quatre-vingts jours
Pour faire le tour de mon âme
Et, sentant déjà mes bras lourds,
J’avance d’une lente rame.
Si vraiment tu me veux du bien,
Chère, ne me demande rien.
-       Se taire ? Etrange privilège,
Si je le voulais, le pourrais-je ?
Moi qui n’affirme que mon nom,
Je suis l’Interrogation. »
 Jules Supervielle, Dialogue avant le voyage
 « Ô toi qu’hélas ! et toujours pique
Une mouche transatlantique,
Ulysse Montévidéen,
Terrestre, lacustre ou marin,
Que viens-tu faire dans la vie
Voyageur ès-mélancolies ?
Saigner l’exsangue subconscient,
Poulet osseux, jusques à quand ?
Choisis enfin ton point de chute
De peur que ton obscure flûte
Qu’épuise un si grand désarroi
Ne tombe morte de tes doigts.
-       Voix amie et si indiscrète
-       N’interroge pas le Poète ;
Il faut plus de quatre-vingts jours
Pour faire le tour de mon âme
Et, sentant déjà mes bras lourds,
J’avance d’une lente rame.
Si vraiment tu me veux du bien,
Chère, ne me demande rien.
-       Se taire ? Etrange privilège,
Si je le voulais, le pourrais-je ?
Moi qui n’affirme que mon nom,
Je suis l’Interrogation. »
 Jules Supervielle, Dialogue avant le voyage
Dialogue avant le voyage

mercredi 25 janvier 2017

603 - A une jeune femme

Cambodge 2013                                     photo 1913   1/30

Cambodge Siem reap

Voyez-vous, un parfum éveille la pensée.
Repliez, belle enfant par l'aube caressée,
Cet éventail ailé, pourpre, or et vermillon,
Qui tremble dans vos mains comme un grand papillon,
Et puis écoutez-moi. – Dieu fait l'odeur des roses
Comme il fait un abîme, avec autant de choses.
Celui-ci, qui se meurt sur votre sein charmant,
N'aurait pas ce parfum qui monte doucement
Comme un encens divin vers votre beauté pure,
Si sa tige, parmi l'eau, l'air et la verdure,
Dans la création prenant sa part de tout,
N'avait profondément plongé par quelque bout,
Pauvre et fragile fleur pour tous les vents béante,
Au sein mystérieux de la terre géante.
Là, par un lent travail que Dieu lui seul connaît,
Fraîcheur du flot qui court, blancheur du jour qui naît,
Souffle de ce qui coule, ou végète, ou se traîne,
L'esprit de ce qui vit dans la nuit souterraine,
Fumée, onde, vapeur, de loin comme de près,
– Non sans faire avec tout des échanges secrets, –
Elle a dérobé tout, son calme à l'antre sombre,
Au diamant sa flamme, à la forêt son ombre,
Et peut-être, qui sait ? sur l'aile du matin
Quelque ineffable haleine à l'océan lointain !
Et vivant alambic que Dieu lui-même forme,
Où filtre et se répand la terre, vase énorme,
Avec les bois, les champs, les nuages, les eaux,
Et l'air tout pénétré des chansons des oiseaux,
La racine, humble, obscure, au travail résignée,
Pour la superbe fleur par le soleil baignée,
A, sans en rien garder, fait ce parfum si doux,
Qui vient si mollement de la nature à vous,
Qui vous charme, et se mêle à votre esprit, madame,
Car l'âme d'une fleur parle au cœur d'une femme.

Encore un mot, et puis je vous laisse rêver.
Pour qu'atteignant au but où tout doit s'élever,
Chaque chose ici-bas prenne un attrait suprême,
Pour que la fleur embaume et pour que la vierge aime,
Pour que, puisant la vie au grand centre commun,
La corolle ait une âme et la femme un parfum,
Sous le soleil qui luit, sous l'amour qui fascine,
Il faut, fleur de beauté, tenir par la racine,
L'une au monde idéal, l'autre au monde réel,
Les roses à la terre et les femmes au ciel.

Victor Hugo   A une jeune femme

mardi 24 janvier 2017

602 - La petite fille aux yeux noirs

Cambodge 2013                                      photo 1910  1/30

Cambodge Siem reap

" Les cils d’enfant autour des yeux noirs
Clignotent dans le rythme des histoires
C’est ainsi que le cœur athlétique
Maintient la candeur d’un esprit combatif-esthétique.
..."
Alina Zaharia

lundi 23 janvier 2017

601 - Allons respirer l’odeur des cédrats

Cambodge 2013                                                                    photo 1900  1/30

Cambodge : Siem reap, Pshar Leu le grand marché local

Debout ! le soleil caresse nos draps.
Que ne suis-je né près de Mytilène !
Allons respirer l’odeur des cédrats
Au marché qu’on tient à la Madeleine.
J’ai rêvé d’un grand château dans la plaine.
Nous étions (hélas ! tu me comprendras !)
Moi, l’hôte d’un soir, vous, la châtelaine.
Debout ! le soleil caresse nos draps.
Nous voyagerons lorsque tu voudras !
Nous irons en Grèce, au pays d’Hélène
Dont les bras étaient moins beaux que tes bras.
Que ne suis-je né près de Mytilène !
En Chine où les tours sont de porcelaine,
Dans l’Inde où la noire a sous le madras
Des cheveux crépus comme de la laine,
Allons respirer l’odeur des cédrats.
Mais ce n’est qu’un rêve et tu t’en riras !
Allons acheter de la marjolaine,
De la marjolaine et des gobéas
Au marché qu’on tient à la Madeleine !

Catulle Mendes

vendredi 20 janvier 2017

600 - La citadelle des femmes

Cambodge 2013                                                                   photo 1848   1/30

Cambodge : Angkor, Banteay Srey, la citadelle des femmes ....

" Qu'il est doux, quand du soir l'étoile solitaire,
Précédant de la nuit le char silencieux,
S'élève lentement dans la voûte des cieux,
Et que l'ombre et le jour se disputent la terre,
Qu'il est doux de porter ses pas religieux
Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique
Dont la mousse a couvert le modeste portique,
Mais où le ciel encor parle à des coeurs pieux !
..."
 Alphonse de Lamartine     Le temple

jeudi 19 janvier 2017

599 - Fillette et ballon

Cambodge 2013                                  photo 2255a  1/30

Cambodge Kampong Cham 

Le jour émerge à peine
Le Rhône dégrisé
Recouvre ses esprits

Il reprend le cours
Ordinaire de la vie

Sur l'une des berges
Un enfant nu
Lâche un ballon rouge
Qui s'élève en ondulant
Dans le ciel bleu
Légèrement orangé

Une femme entre deux âges
Se penche sur le fauteuil roulant
Qu'elle pousse en parlant
Mais le fauteuil est vide

Jacques Herman   Ballon rouge

mercredi 18 janvier 2017

598 - La petite fille

Cambodge 2013    photo n&b  2346  1/30

Cambodge : Battambang 

Céleste fille du poète,
La vie est un hymne à deux voix.
Son front sur le tien se reflète,
Sa lyre chante sous tes doigts.

Sur tes yeux quand sa bouche pose
Le baiser calme et sans frisson,
Sur ta paupière blanche et rose
Le doux baiser à plus de son.

Dans ses bras quand il te soulève
Pour te montrer au ciel jaloux,
On croit voir son plus divin rêve
Qu'il caresse sur ses genoux !

Quand son doigt te permet de lire
Les vers qu'il vient de soupirer,
On dirait l'âme de sa lyre
Qui se penche pour l'inspirer.

Il récite ; une larme brille
Dans tes yeux attachés sur lui.
Dans cette larme de sa fille
Son cœur nage ; sa gloire a lui !

Du chant que ta bouche répète
Son cœur ému jouit deux fois.
Céleste fille du poète,
La vie est une hymne à deux voix.

Alphonse de Lamartine


mardi 17 janvier 2017

597 - Comédie de la soif

Cambodge 2013                              photo 2345 n&b  1/30

Cambodge : Battambang, petit marché.

" ...
Éternelles Ondines,
Divisez l’eau fine.
Vénus, sœur de l’azur,
  Émeus le flot pur.
Juifs errants de Norvège
Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers
Dites-moi la mer.
..."
Arthur Rimbaud  Comédie de la soif


lundi 16 janvier 2017

596 - Ta mère est là qui veille

Cambodge 2013                                                           photo 2342 n&b  1/30

Cambodge Kampong Cham  


Dors, bel enfant aussi beau que les anges !
Ta mère est là qui veille autour de toi,
Et qui, te berçant dans tes langes,
Croit bercer plus qu'un fils de roi !

Dors dans l'osier, gai semblant de la tombe ;
Mon bras jaloux t'y couve et garde encor :
Avec son aile la colombe
Protège ainsi son cher trésor.

Dors chaudement, dors dans la plume douce !
L'amour, plus doux, préserve ton sommeil :
Une rose est là dans sa mousse,
Qui fleurit pour ton frais réveil.


Émile Deschamps.

vendredi 13 janvier 2017

595 - L'amour maternel

Cambodge 2013                                                            photo n&b 2339  1/30

Cambodge : Kampong Cham, village Cham

" Fait d'héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,
Qui de nous peut dire où commence,
Où finit l'amour maternel ?
...

Ô mère, unique Danaïde
Dont le zèle soit sans déclin,
Et qui, sans maudire le vide,
Y penche un grand cœur toujours plein ! "


Sully Prudhomme

jeudi 12 janvier 2017

594 - Portrait kmère

Cambodge 2013                             photo 2327 n&b  1/30

Cambodge Kampong Cham 

" Mon coeur tranquille glorifie mon peuple.
Moi, fille de Khmèrs,
Je bondis comme un gaur hautain et libre à la tête de son troupeau,
«Comme un grand gaur royal qui a entendu, sous les lianes de la jungle, l'appel du Bouddha,
«Et qui s'offre à lui avec toute sa harde.
Je suis la panthère en extase qui a brisé les attributs de déesse que lui donnés le roi,
Je suis l'éléphant blanc qui a jeté dans le Mékong le tire de comte que lui a donné le roi.
Et je suis le Seigneur Tigre qui n'aspire plus à devenir dieu mais disciple du Bouddha;
Et je suis Bramâ, créateur du monde, qui n'aspire plus à renaître roi des dieux, mais disciple du Bouddha.
Et je suis Ravana, roi des démons, qui n'aspire plus à renaître roi des démons, mais disciple du Bouddha,
..."
 Makhali-Phal

vendredi 6 janvier 2017

593 - Naître à la vastitude




Cambodge 2013              photo 2300 n&b  1/30

Cambodge : environs Kampong Cham,  Vat Hanchey Pagoda ...

" N'oublie pas que c'est au monde, au monde entier que tu es né, que tu dois naître, à sa vastitude.

Henri Michaux   Poteaux d'angles

jeudi 5 janvier 2017

592 - Infidélité faîte à l'Asie

Sénégal 2016

Yoff, c'est dimanche, pas d'école pour les enfants ...

 Une carte postale

Tu m’enverras une carte postale,
De la douceur des eaux,
De la chaleur des lumières !
Ici,
Le Soleil
Fera place à la Lune,
La Lune
Au nuage,
Le nuage
À la nuit,
Envoie-moi une carte postale !
Tu m’enverras cette lumière des nuits,
Des profonds cratères des Vésuves !
Tu m’enverras ce diamant des ténèbres,
De la froideur des Igloos !
Ici,
Le Soleil
Fera place à la Lune,
La Lune
Au nuage,
Le nuage
À la nuit,
Envoie-moi une carte postale !

Frédéric Pacéré TITINGA
Refrains sous le Sahel